Troisième volume d’une histoire en partie familiale, à la suite de Retour à Lemberg puis de La Filière, 38 Londres Street livre les récits croisés de la tentative avortée d’extradition du Général Pinochet et de la vie de Walther Rauff au Chili.
Avocat international, spécialiste des questions de droit de l’homme, Philippe Sands déploie son talent de narrateur pour expliquer à son lecteur les complexités du droit international.
Le Général Pinochet à Londres
En 1988, alors qu’il est à Londres pour y subir une intervention médicale mineure, Pinochet fait soudain l’objet d’un mandat d’arrêt international et d’une demande d’extradition introduite par le juge espagnol Baltasar Garzón. Il s’agit là d’une procédure inédite qui soulève des questions fondamentales en matière d’immunité et d’impunité dans le domaine juridique. En réalité, cette situation met les gouvernements britannique, espagnol et chilien dans l’embarras ; au terme de nombreux rebondissements, elle conduira au renvoi de Pinochet dans son pays au motif que son état de santé ne lui aurait pas permis de soutenir un procès. Il y mourra sans jamais avoir été jugé.
A la différence de Retour à Lemberg et de La Filière, cette histoire non seulement se déroule dans un passé proche, mais l’auteur en est lui-même un protagoniste discret pour avoir agi comme avocat d’une partie civile dans le cadre de la procédure d’extradition. Si Sands est animé par le souci de l’exactitude, les longs passages qui relatent les complexités de la procédure intentée à Pinochet peuvent cependant lasser le lecteur.
Un nazi au Chili
Walther Rauff est quant à lui un officier SS, qui avait mis au point les Gaswagen, ces camions équipés d’un compartiment hermétique, où étaient gazés leur occupants, version beta en quelque sorte des chambres à gaz. Après la Deuxième Guerre Mondiale, Rauff trouvera en un premier temps refuge en Équateur, où il fera la connaissance de Pinochet, avant de s’établir au Chili.
Lorsque Pinochet mène à bien son coup d’État le 11 septembre 1973, une répression sanglante s’abat sur la société chilienne ; assassinats, disparitions et tortures y deviennent une pratique courante, notamment à l’ancien siège du parti socialiste, au 38 de la rue Londres, et qui donne son titre à l’ouvrage. Au cours de ses recherches, Sands apprend qu’il est lié par alliance à l’une de ces victimes de Pinochet ; trois mille morts ne fournissent qu’une statistique, une seule constitue un drame.
Rauff partage bien entendu le même enthousiasme pour les dictatures militaires que celui des golpistas, mais surtout son CV affiche une expertise professionnelle avérée, acquise durant la Shoah, en matière de meurtre à grande échelle et de disparition des corps. Sands part donc à la recherche de Rauff, qui est décédé en 1984, et s’il met en lumière de très nombreux indices qui suggèrent son implication dans la disparition des corps des victimes de la torture sous la dictature de Pinochet, jamais il ne sera à même de produire une preuve irréfutable. Si le fil des chemins de Rauff et de Pinochet ont pu se croiser, ils ne permettent pas de tisser une trame, si bien que le lecteur comme l’auteur en resteront sur leur faim.
Une blessure toujours ouverte
En définitive, on retrouvera dans 38 Londres Street tout le talent de Sands, sorte de Simon Wiesenthal de la littérature d’enquête, l’avocat engagé, le juriste écrivain, qui sait livrer un récit à la manière d’un journaliste. Au-delà des circonstances matérielles des affaires Pinochet et Rauff, l’auteur y explore les thèmes de l’immunité et de l’impunité, de l’histoire et de la mémoire et surtout celui, douloureux et toujours ouvert, des desparecidos.
Philip Sands, 38 Londres Street, W&N 2025
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