Anne-Marie Pelletier
Titulaire en 2014 du Prix Ratzinger, membre de l’Académie Pontificale pour la Vie, enseignante au Collège des Bernardins, docteur en sciences des religions, en un mot théologienne de premier plan, Anne-Marie Pelletier examine dans son dernier livre, l’Église et le féminin, la place des femmes au sein de l’Église à la lumière de la Tradition.
Au départ, la Tradition
Point de départ essentiel de sa réflexion, Pelletier s’appuie sur la Tradition, qu’elle distingue des traditions et qu’elle conçoit comme un mouvement de la foi, plutôt qu’un message immobile. Très attachée à la Bible aussi, elle la lit comme le récit où Dieu se déploie dans la réalité très concrète, charnelle et parfois crue de notre humanité.
Ensuite, la mémoire critique
Pelletier s’attache d’abord à effectuer un travail d’archéologie ou, si l’on préfère, de mémoire critique, qui vise à identifier la distribution des rôles et du pouvoir parmi les sexes dans l’histoire du peuple de Dieu. L’auteur estime cette phase d’archéologie un préalable indispensable à toute réflexion au sujet de l’Église en tant qu’institution. Car le judaïsme puis le christianisme ne naissent pas dans le vide mais dans le monde concret des civilisations méditerranéennes.
Comme la plupart des espèces animales, l’homme est un être sexué. A la différence des animaux, l’homme en a conscience et voit dans la rencontre des sexes un mystère où l’identique (« la chair de ma chair ») rencontre le différent. Pelletier montre que la recherche anthropologique fait apparaître dans toutes les cultures une prépondérance du masculin sur le féminin qui repose entre autres sur une peur de la femme et sa supposée impureté (voir par exemple le chapitre 12 du Lévitique).
En dépit du caractère rigoureusement novateur du christianisme qui se fonde en définitive sur la foi en la résurrection de la chair, un concept impensable pour les Grecs, le monde chrétien s’alignera rapidement sur les représentations des sexes héritées de l’Antiquité. Là où Paul écrit au chapitre 3 de l’épître aux Galates qu’il n’y a plus homme ni femme car tous ne font qu’un dans le Christ, les structures sociales de l’Antiquité demeurent en place et déboucheront sur la chrétienté du Moyen-Âge qui relèguera les femmes à l’espace domestique ou, si elles sont religieuses, à la clôture. Pelletier relève cependant que, dès lors que l’Église considère le mariage comme un sacrement, elle met fin à l’arbitraire masculin de la répudiation ; de même la vie en qualité de vierge consacrée au Christ permet aux femmes de s’affranchir de la tutelle du père puis de celle du mari.
Anne-Marie Pelletier et le rôle de la femme dans l’Eglise
Dans une deuxième partie, Anne-Marie Pelletier traite de deux questions importantes pour apprécier le rôle de la femme dans l’Église, la métaphore conjugale et l’existence d’un spécifique féminin. Si l’auteur souligne l’usage abondant dont font la Bible et Église de la métaphore conjugale pour exprimer l’union du Christ et de l’Église, elle ne manque pas de relever que Dieu, alors qu’il est asexué, se voit assigner le rôle masculin de l’époux dans cette relation tandis que Sion puis l’Église sont campées dans le rôle de l’épouse, parfois d’ailleurs comme au chapitre 16 d’Ézéchiel sous des images très violentes. Quant à la question du spécifique féminin, le Magistère depuis Paul VI répond oui avec enthousiasme mais au risque, selon Pelletier, de sacraliser en quelque sorte l’image de la Femme au détriment des femmes concrètes qui ne se reconnaissent pas toujours dans le portrait d’elles-mêmes que leur tend l’Église.
La réalité charnelle de l’Incarnation
En dépit de cette appréciation critique qu’Anne-Marie Pelletier porte du regard que l’Église porte elle-même sur les femmes et les rôles qu’elle leur réserve, elle demeure convaincue, en raison précisément de l’Incarnation comme une réalité charnelle, de la nécessité d’une anthropologie qui se fonde sur la distinction des sexes. C’est la raison pour laquelle elle estime les théories du gender comme un péril anthropologique, auxquelles elle oppose la différence, et la différence des sexes en particulier, comme une nécessité d’ordre positif.
On cherchera en vain des points médians ou d’autres marques d’écriture inclusive dans ce petit livre à la plume si élégante et ferme et qui, pour cette raison, porte. De son propre aveu, pas optimiste mais portée par l’espérance, Anne-Marie Pelletier propose dans son livre une nouvelle ecclésiologie qui tienne compte non seulement des spécificités de chaque sexe mais qui s’affranchisse de la distinction rigide entre clercs et laïcs alors que les uns et les autres sont des baptisés. Elle rappelle avec force que les charismes de l’Esprit évoqués par saint Paul ne sont pas attribués à un sexe ou à l’autre.
Anne-Marie Pelletier, L’Église et le féminin – Revisiter l’histoire pour servir l’Évangile, Éditions Salvator, 2021, 171 pages.
Le rôle des femmes au Moyen-Âge paraît autrement plus important que ce qui est dit dans l’article (je n’ai pas lu l’ouvrage de Mme Pelletier). Régine Pernoud l’a amplement montré et démontré. A côté de la stratification sociale qu’on a souvent en tête, la réalité a montré combien les femmes avaient de place à cette époque, il suffit de se rappeler Hildegarde von Bingen tançant le Pape pour lui « suggérer » sa conduite.
Au niveau de la société, c’est le XIXème siècle victorien, marchand et positiviste, qui a bouté les femmes hors des cercles de décision. On oublie souvent cet aspect.
Merci pour votre éclairage sur cet ouvrage en tout cas, et notons qu’ A.-M. Pelletier avait déjà écrit sur les femmes et le christianisme il y a plus de 20 ans.
Monsieur de la Barre,
Je n’ai pas lu l’ouvrage de Mme Pelletier mais j’ai lu avec grand intérêt l’analyse que vous en avez faite.
Dans celle-ci, vous rapportez qu’Anne-Marie Pelletier s’appuie sur la Tradition qu’elle distingue des traditions et qu’elle conçoit comme un mouvement de la foi, plutôt qu’un message immobile. Distinguer la Tradition des traditions est parfaitement juste mais si les traditions constituent effectivement ‘un mouvement de la foi’, La Tradition, soit la Révélation Divine, elle, est immuable.
Quant à la question du spécifique féminin, Anne-Marie Pelletier rappelle effectivement que le Magistère depuis Paul VI, en fait depuis Jean XXIII, répond oui avec enthousiasme mais au risque de sacraliser en quelque sorte l’image de la Femme au détriment des femmes concrètes qui ne se reconnaissent pas toujours dans le portrait d’elles-mêmes que leur tend l’Église. Depuis Jean XXIII en effet, lui qui a ouvert le chemin de Vatican II et à la désacralisation de la Tradition.
Quels que soient les mérites de l’étude de Mme Pelletier, elle a le défaut d’être une étude ‘scientifique’ sur un sujet ‘métaphysique’. Il y a lieu de se souvenir que la Tradition enseigne que Dieu n’existe pas mais qu’il est. Je suis Celui qui est sans avoir été créé, être spirituel, l’Être, non soumis aux lois du mouvement ou de l’anthropologie des êtres humains. La Genèse nous enseigne qu’Adam, l’Androgyne Primordial, avant d’être un homme a été l’Homme, à la fois mâle et femelle, placé dans l’Eden, état intermédiaire entre Ciel et Terre, avant de tomber dans le Paradis Terrestre dans lequel il se partagea en un homme et une femme pour engendrer le genre humain.
Mme Pelletier a toutefois le mérite d’estimer à juste raison que les théories du gender sont un péril anthropologique auxquelles elle oppose la différence, et la différence des sexes en particulier, comme une nécessité d’ordre positif.
Rendons donc à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu !
» La Genèse nous enseigne qu’Adam, l’Androgyne Primordial, avant d’être un homme a été l’Homme, à la fois mâle et femelle, placé dans l’Eden, état intermédiaire entre Ciel et Terre, avant de tomber dans le Paradis Terrestre dans lequel il se partagea en un homme et une femme pour engendrer le genre humain. » Où trouvez-vous cela dans la Genèse ? Ou ailleurs dans la Bible ?
Monsieur Chatelain,
N’avez-vous jamais entendu parler de l’ésotérisme chrétien, de la lettre et de l’esprit, la substantifique moelle de Rabelais, du symbolisme et non des mots pour transmettre la Révélation Divine, des scolasitques, du Moyen-Age et de la transcendance des religions ?
Tout ça c’est bien beau. Madame Pelletier est sans doute une excellente personne, mais on esquive le vrai sujet: est-ce qu’elle est d’avis que notre Sainte Eglise, Catholique, Apostolique et Romaine devrait ordonner des prêtresses, comme les cultes païens ? Oui ou non?
Cette question a déjà été tranchée définitivement par Sa Sainteté le pape Jean-Paul II. Malgré tous ses défauts il a été parfaitement net là dessus. Mme Pelletier est-elle explicitement d’accord avec Jean-Paul II et la tradition unanime de l’Eglise? Il y a lieu de craindre que non, et qu’elle reste dans l’ambigüité, n’osant être publiquement hérétique. Donc son livre est du pur verbiage, vain, si ce n’est nocif.