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Fiducia Supplicans

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Le naufrage du Pape François

Peu avant Noël le Vatican publiait avec l’aval du Pape François Fiducia Supplicans, une déclaration du Dicastère pour la Doctrine de la Foi (DDF) qui stipule de manière très précise les conditions dans lesquelles un prêtre peut bénir des couples (mais pas des unions, comprenne qui pourra) en situation irrégulière, y compris des couples de même sexe. Cette déclaration a suscité des réactions très contrastées dans le monde catholique, dont une levée de boucliers d’un grand nombre d’évêques africains.

On laissera à d’autres le soin d’analyser ce texte et les précisions que le DDF lui a apporté dans un communiqué de presse datée du 4 janvier dernier. La Nouvelle Ligne se propose d’esquisser une explication personnelle possible des circonstances et décisions qui ont amené le pape là où il est aujourd’hui.

Les lecteurs de La Nouvelle Ligne se souviendront que peu après son élection, à l’occasion des JMJ de Rio, le pape François fraîchement élu avait enjoint les jeunes à « semer la pagaille ». Cette phrase allait distinguer son pontificat marqué par l’ambiguïté, la confusion et même la discorde alors même que le ministère papal vise à assurer l’unité de l’Église.

Le Pape François et le chemin synodal allemand

Onze ans plus tard La Nouvelle Ligne pense que le pape invitait les fidèles à rebattre les cartes, à charge pour lui d’évaluer la donne. Les Allemands, toujours sérieux, l’ont pris au mot et en 2019 ont lancé un Chemin Synodal – une formulation inédite dans l’Église catholique, au départ en réponse au scandale des abus sexuels. Cependant, les travaux du Chemin Synodal se sont portés sur quatre autres thèmes : i) l’exercice et la séparation des pouvoirs dans l’Église, ii) un changement dans la morale sexuelle, iii) l’ordination des femmes et iv) le célibat des prêtres, sachant que les trois premiers thèmes sont irrecevables dans l’Église catholique et que le quatrième demande une approche plus nuancée que sa simple abolition en raison de sa portée universelle.

La Nouvelle Ligne estime que, si le Pape François a pu au départ voir l’initiative allemande d’un œil favorable, il s’est montré de plus en plus critique à son égard par la parole et par écrit. « L’Allemagne dispose déjà d’une très bonne église protestante, elle n’en a pas besoin d’une deuxième » a déclaré le pape. Pendant ce temps-là en Allemagne, chacun interprétait les propos du pape à sa sauce d’autant qu’aucun clerc ou laïc n’a à ce jour fait l’objet de sanctions en dépit de propositions incompatibles avec la doctrine et la tradition catholique.

Le Pape François perd la main

La Nouvelle Ligne pense que dès ce moment, faute de sanctions justement, le pape avait perdu la main, que ce soit par sympathie secrète ou par peur de provoquer un nouveau schisme dans le pays où avait surgi la Réforme il y a cinq siècles. Toujours est-il qu’il n’y a pas eu de convocation devant la Diète de Worms ni de bulle d’excommunication.

Au lieu de cela, le pape a imaginé une parade, le synode sur la synodalité toujours en cours, un concept à la signification assez floue au cours duquel chacun écouterait l’autre quoi qu’il dise. En réalité, La Nouvelle Ligne estime le but du synode sur la synodalité est de noyer le chemin synodal allemand en espérant qu’il se dissolve dans un bassin plus vaste.

Les Allemands, toujours sérieux, ont quant à eux poursuivi leur chemin synodal, voté en faveur d’une nouvelle forme de gouvernance incompatible avec la nature épiscopale de l’Église et déclaré travailler à la rédaction d’une liturgie de bénédiction de couples de même sexe, elle aussi incompatible avec la doctrine catholique du mariage.

Intervention du Dicastère pour la Doctrine de la Foi

Face à ces développements, en mars 2021, le DDF, alors présidé par le cardinal Ladaria, prédécesseur de Victor Fernández, publiait un document explicitement approuvé par le pape François, qui stipulait qu’il n’était pas licite de bénir des relations telles que les unions entre personnes de même sexe.

En juillet 2023, le pape François nomme son compatriote Victor Fernández, ghost writer de son encyclique Amoris Laetitia, préfet du DDF, et lui confère le chapeau de cardinal trois mois plus tard. Dans sa lettre de nomination, le pape rappelle au nouveau préfet « que l’Église « grandit dans son interprétation de la parole révélée et dans sa compréhension de la vérité » (sans que cela implique l’imposition d’une manière unique de l’exprimer. »

Fiducia Supplicans

Voilà donc le contexte dans lequel paraît Fiducia Supplicans, tandis que les Allemands font cavalier seul (avec les évêques flamands en croupe). Que ce soit pour exprimer le souci pastoral du pape, pour faire valoir la théologie progressiste de Fernandez ou pour contrer les Allemands, Fiducia Supplicans contredit néanmoins de plein fouet ce premier document de mars 2021. Pour justifier cette contradiction, Fernández se voit contraint de s’embarquer dans ce qu’on pourrait appeler la théologie de « l’en même temps [1] » : la doctrine catholique du mariage fondée sur l’union stable et indissoluble d’un homme et d’une femme n’est pas remise en cause mais en même temps la bénédiction de couples de personnes de même sexe est autorisée sous certaines conditions.

Parmi ces conditions, figure l’interdiction de promouvoir ou de prévoir un rituel de bénédiction des couples en situation irrégulière, l’idée du cardinal étant qu’il s’agit de permettre aux prêtres de répondre à des demandes spontanées. Pour tenter de couper court à des réactions à une déclaration qu’il sait controversée, mais dont il ne mesure pas encore l’ampleur, Fernández précise dans Fiducia Supplicans « qu’on ne doit donc pas attendre d’autres réponses sur d’éventuelles dispositions pour réglementer les détails ou les aspects pratiques quant à des bénédictions de cette sorte ».

Coup de théâtre

Coup de théâtre, à peine dix-sept jours plus tard, Fernández se voit contraint de publier un communiqué de presse en vue « d’apporter des précisions sur le document publié le 18 décembre » (à savoir Fiducia Supplicans), dans les faits une révocation partielle de la Déclaration. Bien plus, le communiqué esquisse un bref rituel de bénédiction, alors qu’il est spécifiquement interdit par Fiducia Supplicans.

Six mois donc après sa prise de fonction, Fernández subit un puissant revers et se voit forcé d’effectuer une reculade majeure ; il ne se heurte pas tant à l’opinion privée de certains évêques qu’à la cohérence de la doctrine catholique en matière de mariage et de mœurs, que ces mêmes évêques sont tenus de défendre et proclamer. Face à un tel échec, dans le civil, Fernandez aurait sans doute présenté sa démission.

Une décennie de pagaille revendiquée

Au-delà de Fernández, c’est tout le pontificat de François qui est mis en cause ici. Désormais c’est toute l’Église qui paie les pots cassés par une décennie de pagaille revendiquée. On dit le pape têtu, voire colérique, La Nouvelle Ligne n’a pas le moyen de porter une appréciation à ce propos. En revanche, ce qui est observable, c’est que le pape François n’a procédé qu’à des nominations de son propre bord. Tous ceux qui ne partagent pas sa sensibilité se voient accusés par le pape d’adopter une posture idéologique rigide, de la même manière que les partis communistes peignent leurs opposants de contre-révolutionnaires, une manière commode de ne pas tenir compte de leurs arguments. Personnel is policy, disent les Américains.

La Nouvelle Ligne ne tient pas le pape responsable de l’ouverture du chemin synodal mais estime en revanche qu’il a créé les conditions propices à sa tenue. Sauf à exiler le cardinal Marx à Sainte-Hélène, le pape ne sait plus comment résoudre la question allemande.

A nouveau, le chemin synodal allemand

« Malheureux, ces gens qui déclarent bien ce qui est mal, et mal ce qui est bien », dit le prophète (Isaïe V, 20). Cette sentence plane sur ceux qui ont la responsabilité de dire le bien, le bon, le vrai, hier comme aujourd’hui. Le ministère du pape consiste à assurer l’unité des fidèles, en particulier en matière de foi et de mœurs ; il a par ailleurs pour mission de présider à l’unité du collège épiscopal dans la charité, pas à sa dilution ou sa division. L’ambiguïté et la discorde sont fruits de la pagaille mais ne sont pas de Dieu, car Dieu n’est pas un Dieu de désordre, mais de paix. (1 Cor XIV, 33). Reste le chemin synodal allemand, ce calice empoisonné que le Pape François devra soit boire soit tendre à son successeur.


[1] Les lecteurs français se souviendront qu’Emmanuel Macron a été éduqué par les Jésuites, l’ordre auquel appartient le Pape François.

7 Commentaires

  1. François d'Adesky François d'Adesky 6 janvier 2024

    Merci de ces informations. Personnellement, j’ai pour principe d’éviter des procès d’intention et de ne jamais commenter des procédures en cours. En effet, le rapport (1ére partie) du Synode sur la Synodalité publié le 28 octobre 2023, prône une Église catholique ouverte à tous et proche d’un monde blessé. La deuxième partie de ce Synode sur la Synodalité ne sera publiée qu’en octobre 2024.
    D’ici-là, il vaut mieux s’abstenir de prédire quel sera le résultat de ce Synode, totalement inédit dans l’histoire de notre Eglise ! La sagesse recommande de suivre l’adage : « Wait and See ».

    • lanouvelleligne lanouvelleligne Auteur de l’article | 7 janvier 2024

      Les contradictions entre le document de mars 2021, la Déclaration Fiducia Supplicans et le communiqué de presse du 4 janvier sont des éléments de fait qui s’imposent à tous, quel que soit le point de vue qu’on puisse avoir au sujet des bénédictions de couples en situation irrégulière. Mais puisque vous mentionnez le synode, je vous invite à vous interroger au sujet des intentions de Fernandez et de Bergoglio, qui imposent à l’Eglise cette Déclaration, sept semaines à peine après la conclusion du Synode, qui justement avait fait le choix de ne pas se prononcer à ce propos.

      • François d'Adesky François d'Adesky 11 janvier 2024

        Diane de Guerre, a répondu avec talent, ce que je voulais dire. Je n’ai donc plus rien à ajouter !

        • lanouvelleligne lanouvelleligne Auteur de l’article | 13 janvier 2024

          La Nouvelle Ligne ne s’est pas prononcée sur le fond de Fiducia Supplicans; on trouvera aisément sur internet des commentaires rédigées par des personnes plus instruites à ce sujet (ici par exemple https://www.diakonos.be/dire-du-bien-de-ce-qui-est-mal-libres-propos-dun-philosophe-sur-fiducia-supplicans/). Je pense par contre que le pape a perdu la main dès le lancement du Synodaler Weg en Allemagne, qui a poursuivi son chemin malgré les mises en garde répétées du Saint-Siège. A mes yeux FS n’est que la dernière et vaine tentative du pape d’offrir une porte de sortie aux Allemands, qui ont aussitôt refusé de l’emprunter; en contravention explicite avec FS, l’Eglise d’Allemagne travaille à la rédaction d’un rituel de bénédiction de couples de même sexe. Sauf à virer l’un ou l’autre évêque, le pape n’a plus de carte à jouer. La gestion de ce dossier par le pape s’achève sur un désastre qui définira son pontificat et signera son échec. Clivant dès le premier jour, il est désormais le pape qui aura fracturé l’Eglise à l’échelle mondiale, alors que son ministère consiste au contraire à en assurer l’unité. Si j’étais une souris vatican, je dirais que le prochain conclave tournera autour de ce dossier désormais empoisonné des bénédictions.

  2. Bernard J. Wohlwend Bernard J. Wohlwend 6 janvier 2024

    Sur Le naufrage du Pape François
    Excellente analyse et conclusion. Peut-être que l’origine de cette triste situation est-elle attribuable à Jean XXII et Paul VI, papes réformateurs qui ont permi et mis en oeuvre Vatican II. Est-il encore possible d’éviter la disparition du Catholicisme ?

  3. Diane de Guerre Diane de Guerre 8 janvier 2024

    Cher Dominique, permets moi de te trouver particulièrement sévère avec le pape actuel.
    En ce qui concerne Fiducia Supplicans je te rappelle la remarque suivante : Ces « bénédictions pastorales », explique le préfet, visent à « soutenir » la foi « qu’elle soit petite ou grande » des personnes vivant en union irrégulière, de soutenir leurs faiblesses grâce à la bénédiction divine et d’offrir un canal à cette ouverture à la transcendance qui pourrait les conduire à être plus fidèles à l’Évangile.
    Je te rappelle également qu’au moment de la communion les personnes « en situations irrégulières » peuvent s’avancer vers le prêtre qui leurs donne une bénédiction.
    Pourquoi donc, aujourd’hui, crier au scandale alors que ceci n’est pas si nouveau et qu’il n’y a pas de changement sur la doctrine de l’union sacramentelle ?
    Je te rappelle également les paroles du Christ qui dit ne pas être là pour les justes mais pour les pêcheurs…
    Par ailleurs je trouve ce pape très courageux de « secouer le cocotier » (la curie en a bien besoin) même s’il fait peut-être quelques erreurs.
    Avons-nous encore besoin d’un pape théologien qui écrit des livres pointus, lus et compris par une toute petite minorité ?
    Je ne pense pas…il faut sortir de sa zone de confort malgré les turbulences que tu décris si bien !

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