Pape François
Spécialiste depuis quarante ans des questions religieuses au Figaro, Jean-Marie Guénois est trop modeste pour se définir lui-même comme vaticaniste. Dans son avant-propos, l’auteur estime qu’il est considéré hostile au pape François, un aveu que La Nouvelle Ligne ne partage pas, car si Guénois exerce son métier avec rigueur, son écriture est marquée du sceau de la bienveillance.
Réforme de la Curie
L’auteur rappelle d’amblée qu’en mars 2013, les cardinaux élisent Bergoglio en vue de réformer la Curie, le dossier sur lequel Benoît XVI s’était heurté ; il faudra près de dix ans au pape François pour traiter ce sujet avec la constitution Praedicate Evangelium promulguée en mars 2022. En 2013 les cardinaux ont alors conscience d’élire un homme sobre, qui jouit de l’expérience managériale que confère la gouvernance d’un grand diocèse. Ils n’ont sans doute pas tout-à-fait conscience que leur choix se porte sur un homme qui se révèlera très autoritaire, impétueux, colérique même, et surtout politique. Sono un pò furbo, dit de lui-même le pape François, non pas fourbe au sens français de trompeur, mais furbo au sens italien d’astucieux, de rusé, de madré.
Cependant, fourbe ou pas, Guénois souligne que François est d’abord un chrétien. Âgé aujourd’hui de quatre-vingt-six ans, il se lève à quatre heures du matin pour prier et célébrer la messe et achève sa journée par l’adoration du Saint-Sacrement. Être chrétien pour François, être pape, c’est reconnaître le Christ dans l’autre, quel qu’il soit, là où il est.
Le Pape François renverse la table
Vaticaniste malgré lui, Guénois saisit parfaitement dix ans d’un pontificat sans précédent dans l’histoire de l’Église. Dès le soir de son élection, François renverse la table et demande à la foule assemblée de le bénir et ne cessera depuis lors de demander qu’on prie pour lui. Il mettra en œuvre un programme décrit par l’auteur sous les mots d’égalité, fraternité et liberté, égalité entre clercs et laïcs, fraternité non seulement au sein de l’Église mais au-delà, et liberté car la Loi est là non pas pour asservir l’homme mais pour le porter à la liberté.
Pour mener à bien ce programme inédit, révolutionnaire selon le titre de l’ouvrage, de l’avis de La Nouvelle Ligne, François se comporte sans vergogne comme un pape de la Renaissance. Il nomme non pas ses neveux selon le sang, mais ses frères spirituels (les jésuites Hollerich, Ladaria, Czerny, Guerreo Alves, Spadaro, Ghirlanda – la liste est longue), crée des cardinaux qui partagent sa sensibilité, dynamite l’œuvre de ses deux prédécesseurs Jean-Paul II et Benoît XVI, manipule la composition des membres des différents synodes et enfin offre le gîte au Vatican à ses copains en mal avec la justice ou la morale, Viganò, Ricia, Zanchetta et plus récemment Rupnik.
Guénois a l’élégance de peindre François en social-démocrate là où La Nouvelle Ligne le voit davantage comme un léniniste adepte du centralisme-démocratique. La vignette d’Hergé dans Tintin chez les Soviets : que tous ceux qui s’opposent – mettons à la communion des divorcés-remariés – lèvent la main, vient à l’esprit.
Pape François, un pape politique
Pape politique, on l’a vu, François est l’adepte de ces petites phrases qu’il lâche, souvent dans l’avion au retour d’un voyage, en vue de prendre la température du bain catholique et d’évaluer ce qui marche ou pas, ce qui pourrait passer ou pas. Ouvert aux périphéries selon ses propres mots, au sein de l’Église il peut au contraire se montrer très sévère envers des pans entiers de l’Église qu’il traite avec mépris : les traditionalistes bien sûr mais aussi des religieuses, les prêtres en soutane, les catholiques orthodoxes comme La Nouvelle Ligne, tous ennemis du peuple, qu’il targue de pharisiens et d’hypocrites.
Le pontificat de François s’approche sans doute doucement de son terme ; soucieux d’assoir sa révolution dans le temps, François recompose le Sacré Collège à la manière d’un comité central censé ratifier ses propres choix après sa mort. Réputé pape de l’inclusion, il nomme dans ce but exclusivement des cardinaux qui, sans être nécessairement à sa botte, sont néanmoins tous de son bord, à l’exclusion voulue des autres sensibilités.
Pape François : La Révolution ne prétend pas bien sûr être une biographie alors que son sujet est encore en vie mais entend rendre compte de dix années sans pareilles dans l’histoire de l’Église. Guénois en livre le récit dans un style aussi clair qu’élégant qui conviendra tout autant à celui qui est nourri d’une culture catholique qu’à celui à qui elle peut faire défaut.
Jean-Marie Guénois, Pape François – La Révolution, Gallimard 2023
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