Yoram Hazony
Le résultat des dernières élections européennes fournit l’occasion de s’interroger sur la pensée politique qui anime les dirigeants de la droite, parfois appelée droite nationale en Europe, Victor Orbán, Giorgia Meloni, Marine Le Pen, mais aussi bien entendu Donald Trump aux Etats-Unis. Influent penseur d’économie politique, Yoram Hazony livre en 2022 un essai, Conservatism, a Rediscovery, consacré à la tradition conservatrice, qui fournit en quelque sorte la base théorique aux différents mouvements évoqués ci-dessus.
Yoram Hazony, la Redécouverte du Conservatisme
Hazony retrace en un premier temps la tradition conservatrice en Angleterre et aux Etats-Unis, se fondant notamment sur les écrits d’Edmund Burke au XVIIIe siècle. Ensuite, l’auteur établit une distinction entre le conservatisme et le libéralisme universaliste, dont il situe les racines chez les philosophes des Lumières. Il entend mettre fin à ce qu’il estime être la confusion née de la diffusion du libéralisme universel à partir des Etats-Unis dans les années 60 du siècle dernier et qui a conduit, selon lui, à la société désincarnée que nous connaissons aujourd’hui.
On retrouvera des échos de ce point de vue, à droite comme à gauche du reste, tant parmi ceux qui s’opposent, mettons, à une immigration dérégulée que parmi ceux qui élèvent la voix contre l’Europe libérale incarnée aujourd’hui par Mme von der Leyen.
Le Conservatisme, une particularité nationale
Loin de faire valoir une prétention universelle, le conservatisme, écrit Hazony, est au contraire propre à chaque nation et s’inscrit dans une communauté formée de familles puis de clans qui ont en partage non pas une théorie politique, mais une expérience concrète dont la langue, la religion, les habitudes alimentaires etc. sont les témoins. Le conservatisme est une expérience réussie, fruit des expériences passées et qui se développe de manière organique au sein même de l’histoire de la nation. Le nom même du mouvement politique de Mme Le Pen, Rassemblement National, exprime cette idée, qui se distingue de celle des partisans d’une idéologie, qui eux se regroupent justement au sein d’un parti. Le mouvement politique de Mme Meloni, Fratelli d’Italia, en appelle explicitement à la notion que les membres d’une nation appartiennent à une famille élargie.
Cette approche permet également de comprendre Victor Orbán lorsqu’il parle de « démocratie illibérale », par quoi il n’entend pas un régime politique autoritaire mais une politique conservatrice qui refuse de dissoudre la nation (ici, hongroise) dans un mouvement politique et moral aux prétentions universelles qui lui est étranger.
La tradition de la Common Law
Tout l’ouvrage de Hazony s’appuie sur la tradition anglo-saxonne fondée sur la Common Law et sa jurisprudence, dont il souligne l’importance en raison de son caractère empirique. Pour cette raison, la lecture de Conservatism, a Rediscovery peut s’avérer ardue pour le lecteur de langue française dont les références historiques et culturelles sont différentes. Il n’empêche, le débat qui naît lorsque la Révolution française entend mettre en œuvre les théories développées par les philosophes des Lumières, et auxquelles va s’opposer justement Edmund Burke, ce débat-là est toujours d’actualité. On trouvera dans un camp les partisans du libre-échange, du messianisme démocratique imposé par la force si nécessaire en Irak ou en Libye, et d’une liste infinie de droits auto-proclamés, et dans l’autre les avocats de la réalité tangible des nations, de leur génie propre et de leur histoire.
La tradition, une nécessité propre à chaque société
Hazony estime justement que c’est précisément la tradition conservatrice qui fait la grandeur de chaque nation. Ces traditions se basent nécessairement sur un fondement éthique, judéo-chrétien en ce qui concerne le monde occidental, qui s’impose à tous et par ce fait ne peut être remis en cause ni par le prince ni par la logique propre au libéralisme; ce dernier en effet ne conçoit les rapports entre les hommes que sur une base contractuelle à laquelle on apporte son consentement, que ce soit en matière de mœurs ou de politique économique. L’auteur rejoint ici le pape Benoît XVI, lorsqu’il évoquait la dictature du relativisme.
Hazony affirme que la préservation de la tradition conservatrice est indispensable à celle d’une société démocratique ; a contrario, l’abandon du conservatisme incarné en particulier dans une tradition empirique et religieuse, divise la société en clans opposés, voire ennemis, un phénomène qui caractérise les Etats-Unis à l’heure actuelle, et peut-être demain la France.
Hazony s’est avancé sur un terrain où aucun penseur politique ne s’était rendu depuis des décennies et entend proposer une nouvelle base théorique pour le conservatisme. Rejetant le libéralisme de Hayek, de Strauss et des « fusionnistes » des années 1960, et s’appuyant sur des décennies d’expérience personnelle au sein du mouvement conservateur, il affirme qu’un renouveau de l’authentique conservatisme anglo-américain est possible au XXIe siècle.
Yoram Hazony, Conservatism, a Rediscovery, Regnery Gateway, 2022
J’ ai eu le bonheur de découvrir l’ oeuvre d’ Edmund Burke à Harrow où j’ étais pensionnaire et il m’ a convaincu, que cela soit ses écrits sur la révolution francaise ou son point de vue sur les colonies américaines…