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Hadrien VII

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Peu se souviendront aujourd’hui du Baron Corvo, le pseudonyme utilisé par Frederick Rolfe (1860-1913), un auteur anglais converti au catholicisme, candidat à la prêtrise, refusé par ses supérieurs, homosexuel avoué. Hadrien VII, son roman le plus connu, se présente sous la forme d’une fiction autobiographique, un procédé qui permet à l’auteur de revoir sa vie passée et de soit punir soit récompenser de manière fictive ses amis et connaissances. 

Dans ce roman, l’auteur crée le personnage de Georges Arthur Rose, lui aussi refoulé du séminaire. Cependant à l’issue du supposé blocage du conclave qui s’ouvre avec le décès de Léon XIII en 1903, deux prélats viennent rendre visite à Rose, lui présentent leurs excuses pour les tracasseries subies, l’ordonnent prêtre aussitôt et le conduisent à Rome où les cardinaux réunis à nouveau l’élisent pape. Rose prend alors le nom de règne Hadrien VII au motif que le dernier pape non italien alors avait été Hadrien VI au XVIe siècle.

Hadrien VII, tantôt rusé et tantôt charmeur, entend mettre en œuvre un programme de réforme de l’Église, notamment en matière de mœurs et d’œcuménisme, qui se heurte à la résistance prévisible de la Curie. Il déclare à titre d’exemple que l’Église se doit d’être là pour les brebis perdues plutôt que pour les justes.

Le plus surprenant à la lecture de ce roman paru en 1904 sont les parallèles étonnants qu’on peut tirer avec le pontificat de Bergoglio. Hadrien VII, personnage fictif s’aventure à pied parmi les rues de Rome (la Cinquecento n’a pas encore été invitée) et se gagne aussitôt la faveur du peuple. A peine élu, Hadrien procède à des nominations cardinalices fantaisistes parmi ses copains d’antan et leur enjoint d’être de « savants anarchistes », écho prémonitoire du « Hay que hacer lio – il faut flanquer la pagaille » prononcé par le pape François aux JMJ de Rio peu après son élection. Inventeur d’une forme inédite de communication, Hadrien VII rédige désormais des Épîtres comme cette Épître à tous les Chrétiens aux accents de Fratelli Tutti, où il enjoint ses destinataires à aller de l’avant sans toutefois chercher à convaincre. Et puis il y a cette scène délicieuse où Hadrien VII passe un savon au général des Jésuites, à qui il reproche – il faut le lire pour le croire – la mondanité de son ordre ; puis, lorsque le général tout dépité s’agenouille pour baiser l’anneau du pêcheur, le pape lui donne l’estocade et lui demande de prier pour lui. Enfin le lecteur pourra s’amuser à retrouver l’identité des gentilhommes de Sa Sainteté derrière le nom dont les affuble l’auteur, le Prince Pilastro et le Prince Orso parmi eux.

Si jamais les livres du Baron Corvo ont pu connaître un succès parmi les lecteurs de langue française il y a plus d’un siècle, ils sont assurément tombés dans l’oubli aujourd’hui. Baron Corvo déploie un style extrêmement érudit, que certains tiendront pour un peu pédant, mais qui se révèle néanmoins élégant, raffiné, riche, subtil et plein d’humour. Il exigera du lecteur de très bonnes connaissances d’anglais et même à l’occasion de latin et de grec ancien. Rangé à juste titre par le journal The Guardian parmi les cent meilleurs romans de langue anglaise, Hadrien VII procurera à ses lecteurs un véritable plaisir de la lecture. 

Frederick Rolfe, Hadrien VII, 1904

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