Appuyez sur “Entrée” pour passer au contenu

L’ Autriche résistante

Partager l'article

Le 12 mars 1938, la Wehrmacht pénétrait en Autriche et mettait fin par la force à l’occasion d’un épisode désormais connu comme l’Anschluss à la Première République d’Autriche. Née en 1918 des décombres de l’empire des Habsbourg, cette république est malaimée de ses habitants. Alors que les peuples slaves de l’empire proclament leur indépendance et que la Hongrie est démantelée, l’Autriche, selon le mot prêté à Clémenceau, c’est ce qui reste. Ce qui reste ce sont les populations, environ 6.5 millions d’habitants, de langue allemande regroupées dans une petite république alpine qui ne se reconnaît pas dans les frontières que lui imposeront les Traités. Aussi, le 12 novembre 1918, au lendemain de la renonciation au pouvoir de l’empereur Charles Ier, l’Assemblée nationale provisoire vote une loi dont l’article 2 stipulait que « L’Autriche-allemande fait partie intégrante de la République allemande « Deutschösterreich ist ein Bestandteil der deutschen Republik « . En d’autres mots, dès sa naissance les députés souhaitent le rattachement de l’Autriche au Reich, bien avant l’Anschluss survenu vingt ans plus tard. L’année suivante, lors de la conclusion du Traité de Saint-Germain, les Puissances alliées traiteront l’Autriche en vaincue et lui interdiront toute union avec l’Allemagne, contre la volonté de ses représentants donc.

La naissance de cette première république d’Autriche se fait donc dans la douleur. Cette douleur naît de cette volonté politique frustrée mais aussi d’une situation politique désastreuse car le nouvel État se trouve coupé de ses marchés et partenaires traditionnels qui formaient au sein de la Double-Monarchie une sorte de marché commun.

Auteur d’une double biographie de l’empereur Charles et de l’impératrice Zita, Jean Sévillia est, de son propre aveu, un amoureux de l’Autriche, sa patrie affective, qu’il connaît de manière intime. Il présente au lecteur de manière succincte mais complète l’histoire de l’Autriche de 1918 à 1938 d’abord, de l’Anschluss à 1945 ensuite et enfin de la Libération au recouvrement de la pleine souveraineté en 1955.

La volonté de l’auteur est de présenter un autre visage de l’Autriche, celui qu’on ne voit pas dans les images d’époque, car dès le 12 mars les nazis déclenchent une violence inouïe, qui conduit à de milliers d’arrestations (50 à 70 mille en 15 jours) dans un pays de 6,5 millions d’habitants. L’Oesterreich devient l’Ostmark, simple province du Reich allemand, la petite Autriche disparaît pour sept ans, sans que les Puissances ne s’y opposent.

Que signifie dire non à Hitler dans ce contexte ? Dire non, c’est déjà résister face à un régime totalitaire mais ce n’est pas la même chose que de recueillir et de transmettre des renseignements, venir en aide aux Alliés ou prendre part à la lutte armée. C’est le fait de monarchistes, de conservateurs, de catholiques, de communistes mais rarement des socialistes (favorables à un Anschluss non nazi). S’opposer c’est risquer sa vie et s’exposer à une condamnation à Dachau ou Mauthausen.

Alors l’Autriche fut-elle une victime ou une complice de l’Anschluss? Les deux. En 1943, les Alliés déclarent l’Autriche la première victime de l’agression nazie ; certains Autrichiens en seront complices et même acteurs tandis que d’autres Autrichiens s’y opposeront. Trois vignettes illustreront ce double aspect.

Aujourd’hui le visiteur qui emprunte le tram n°1 à Vienne pourra en descendre à l’arrêt Dr. Karl Renner Ring en face du Parlement, nommé en l’honneur du premier chancelier fédéral de la République d’Autriche en 1918. Or, ce même Renner appellera à voter pour le rattachement au Reich lors du référendum tenu à la suite de l’invasion de la Wehrmacht en 1938. Il n’y a qu’un seul arrêt de tram pour ces deux Renner.

Dès le 12 mars 1938, la Gestapo procède à des arrestations des opposants à l’Anschluss. Figures de proue du mouvement monarchiste, Max et Ernst Hohenberg, les fils de l’Archiduc François-Ferdinand, sont de ceux-là et seront rapidement déportés vers le camp de concentration de Dachau. Le 15 mars, les enfants de Max sont embrigadés avec leur camarades d’école à la Heldenplatz, y acclamer Hitler, l’homme qui vient de jeter leur père en prison. Après la guerre, l’un de ces enfants deviendra diplomate, fidèle fonctionnaire de la deuxième République d’Autriche.

En 1944, la guerre bat son plein en Italie ; des partisans italiens engagés aux côtés des Alliés s’en prennent eux aussi aux troupes allemandes. En guise de représailles, les troupes des Waffen SS menées par le commandant Walter Reder, un Autrichien, massacrent la population civile aux alentours du village de Marzabotto, près de Bologne ; le nombre de victimes se situe entre 955 et 1830. Jugé en 1948 en Italie pour crime de guerre, Walter Reder fur reconnu coupable et condamné à la prison à vie. En 1985, alors qu’il est âgé de 70 ans, le gouvernement italien ordonne sa libération et le transporte par avion militaire à Graz en Autriche. Mais voilà, à son arrivée, il est accueilli par Friedheim Frischenschlager, le ministre autrichien de la Défense, alors que, rappelons-le, Reder est un criminel de guerre. Une vive polémique s’ensuit en Autriche comme à l’étranger à telle enseigne que le gouvernement belge instruit son ambassadeur à Vienne, le père de la Nouvelle Ligne, d’effectuer une démarche de protestation.

Un an plus tard en 1986, éclate l’affaire Waldheim qui amène l’Autriche à examiner son passé nazi ; quarante plus tard encore, Jean Sévillia, d’une plume élégante et instruite, redonne une voix à ceux, juifs, monarchistes, ecclésiastiques, syndicalistes, qui en ont été les victimes.

Jean Sévillia, Cette Autriche qui a dit non à Hitler, Perrin, 2023

Un commentaire

  1. Jean-Michel Gindt Jean-Michel Gindt 20 avril 2024

    Merci de nous parler du dernier livre de cet auteur précieux, Jean Sevillia.
    On mesure ainsi combien il est difficile de vouloir la vérité contre l’idée que la société se fait de la vérité. Je me souviens d’une émission de télévision où Monsieur Sevillia démontrait par A + B que l’inquisition avait été bénéfique et avait institué des fondements de notre droit pénal (la présomption d’innocence, le principe que le doute doit profiter à l’accusé, le droit d’être défendu par un avocat, l’instruction à charge et à décharge, etc). Rien n’y fit, sans arguments les opposants se contentaient de ricaner en alignant des lieux communs mais, au final, c’est eux qui tenaient le haut du pavé.
    La réalité n’existe pas, seule existe l’idée qu’on s’en fait. Hélas…

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *