Pétain
Loué pour sa remarquable biographie de De Gaulle, Julian Jackson livre ici le récit du procès de Pétain à l’été 1945. Figure tragique de l’histoire de France, le procès du Maréchal s’inscrit dans la lignée de ces procès qui ont fait l’histoire de France, Jeanne d’Arc, Louis XVI, Dreyfus.
Il ne s’agit pas tant pour Jackson de refaire le procès de Pétain que d’en conduire un examen : quels sont les chefs d’accusation, qui sont les parties prenantes, magistrature assise et debout, jurés et témoins, quelles sont les conditions dans lesquelles l’audience se déroule ?
Des points de vue qui s’opposent au sujet du Maréchal Pétain
Trois points de vue s’opposaient quant à la responsabilité de Pétain.
De Gaulle estimait que le crime originel résidait dans la signature de l’armistice du 22 juin ; en appui de cette thèse, on pouvait citer en 1945 le fait qu’aucun autre pays envahi par l’Allemagne nazie n’avait signé d’armistice, à savoir une convention qui met fin aux hostilités. D’autres, parmi lesquels Raymond Aron, estimaient qu’on pouvait défendre l’armistice, voire qu’il représentait la seule solution réaliste au vu de la situation des armes sur le terrain en juin 1940. Aron estimait en revanche que lorsque les Allemands rompent la convention d’armistice en envahissent la zone libre en novembre 1942, Pétain aurait dû rejoindre l’Afrique du Nord et se ranger du côté des Alliés qui venaient de débarquer au Maroc. La philosophe Simone Weil pour sa part enfin tenait l’armistice pour une faute collective qu’on ne pouvait pas imputer à la seule personne du Maréchal.
Un procès forcément politique
Si le procès de Pétain est certes politique car c’est le procès que la France de la résistance fait à celle de la collaboration, il ne s’agit pas pour autant d’une farce. En définitive, Pétain se verra accusé de trahison, soit d’intelligence envers l’ennemi, sera reconnu coupable et condamné.
Traître pour les uns, Pétain est pour les autres une victime sacrificielle « qui fait don à la France de sa personne ». En 1945, alors que le général de Gaulle préside le gouvernement provisoire, la doctrine des gaullistes consiste à tenir l’autorité de fait connue comme « le gouvernement français » pour illégale. dans la vie réelle, cette doctrine est difficile à défendre en droit si bien que plus tard De Gaulle préférera parler du caractère illégitime (plutôt qu’illégal) du gouvernement de Vichy en raison de sa politique de collaboration. En 1995, à l’occasion du 53e anniversaire de la Rafle du Vel d’Hiv, Jacques Chirac, alors président de la République, reconnaîtra la responsabilité de la France, et par là même, le caractère légal du gouvernement de Vichy.
Julian Jackson connaît bien son affaire et présente un tableau très complet du procès ; puisqu’il s’exprime en anglais, il s’efforce de le mettre en contexte et fournit de nombreux éléments avec lesquels un lecteur français sera déjà familier. Si le souvenir du procès et même celui de la figure du maréchal semblent s’estomper aujourd’hui, Jackson identifie correctement les lignes de force qui traversaient le procès et qui sont toujours visibles dans la société française d’aujourd’hui.
Julian Jackson, France on Trial : the Case of Marshall Pétain, Belknap Press 2023, 480 pages.
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