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Le rapt des Sabines

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Selon la légende, en vue de peupler la Rome naissante, les Romains procédèrent aux rapts des femmes des tribus voisines des Sabins qui peuplent l’Italie centrale. Demography is destiny, dit le dicton anglais.

Près de trois millénaires plus tard, cette question de la démographie se situe au cœur de la destinée de l’Europe d’aujourd’hui. De retour de KaKanie, La Nouvelle Ligne y a fait la connaissance, d’Ilona, aide-soignante. Âgée de 65 ans, elle est née à Makkosjanosi, aujourd’hui en Ukraine, dans la région autrefois connue comme la Ruthénie subcarpathique ; partie du Royaume de Hongrie jusqu’en 1918, attribuée à la Tchécoslovaquie au Traité de Trianon, partie de l’État indépendant slovaque en 1938 jusqu’à son annexion par la Hongrie en 1939, cette province est attribuée à l’Union Soviétique après la Seconde Guerre Mondiale et finalement à l’Ukraine indépendante en 1991.

Aujourd’hui Ilona habite l’Alföld, cette vaste région à l’Est de la Hongrie, là où selon Metternich commençait déjà l’Asie, mais travaille tantôt en Allemagne et tantôt en Autriche. Un esprit romantique serait tenté d’y voir la renaissance d’un espace culturel et économique autrefois occupé par les Habsbourg. Sans doute y a-t-il un peu de cela mais de l’avis de La Nouvelle Ligne, il est surtout question de démographie. En Allemagne, selon l’office national de la statistique, le taux de natalité en 2022 s’élevait à 1,46, loin en-dessous du seuil de 2,1 requis pour assurer la stabilité de la population. Que faire alors pour couvrir les besoins en main d’œuvre de tous ces métiers, les infirmières et les ouvriers de chantier, qu’on ne peut ni exporter ni assurer par le télétravail ? C’est bien simple, importer une force de travail rémunérée au triple du taux qui prévaut sur le marché domestique.

Tout cela peut paraître comme une conséquence salutaire de la chute du Rideau de Fer, de l’intégration des anciens pays de l’Est dans l’Union Européenne, des droits dont jouissent les citoyens de l’UE de se déplacer librement et de travailler en dehors de leur propre pays ; tout cela est vrai mais comporte un coût. Ce coût est démographique. La Hongrie n’a plus connu de croissance de sa population depuis 1990 en raison de toutes ces Ilona qui travaillent en Allemagne. Ailleurs, c’est encore pire : en 30 ans la Roumanie a perdu plus de 4 millions d’habitants, soit 18% de sa population de 1990 ; en Bulgarie voisine la chute est de plus de 25%. Bien plus, par définition, ceux qui travaillent en dehors de leur pays sont ceux qui sont en âge et en mesure de travailler ; leur départ contribue à l’affaiblissement de l’économie domestique et donc au renforcement de nouveaux départs.

La guerre en Ukraine a provoqué un nouveau mouvement de populations, la Völkerwanderung du XXIe siècle ; plus d’un million d’Ukrainiens ont franchi le col des Carpathes comme jadis les Magyares en 897 puis la frontière hongroise ; la Pologne voisine en a accueilli tout autant. Certains de ces réfugiés espèrent pouvoir retourner chez eux, d’autres se sont d’ores et déjà établis dans leur pays d’accueil et y ont fondé ici un restaurant et là une épicerie.

Pendant ce temps, la Russie, dont la population décroît elle aussi depuis 30 ans recourt aux tactiques des anciens Romains, le rapt des enfants, sans doute plusieurs dizaines de milliers. Cette politique cynique vise à assurer à la Russie d’ici une quinzaine d’années, voire moins, des jeunes gens qui porteront ses armes et des ventres pour enfanter de nouveaux soldats. 

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