Soyez actif
Maintenant qu’à Genève l’été dure quatre mois, que les chiens de rue à midi sommeillent dans la poussière comme dans Chronique d’une Mort Annoncée, la passivité guette, par quoi il faut entendre l’usage de plus en répandu en français de la voie passive. Tout récemment, La Nouvelle Ligne pouvait lire cette phrase, qu’elle juge très vilaine, dans une lettre, que le PDG d’une entreprise cotée en bourse avait adressée à ses actionnaires : « La croissance de notre société a été permise par une demande accrue pour les produits etc… ». Une des recommandations qui figurent au Style Book de The Economist est de privilégier la voie active à la passive. Effectivement, La Nouvelle Ligne aurait suggéré à ce dirigeant d’entreprise d’écrire que l’augmentation de la demande pour tel ou tel produit a favorisé la croissance de sa société.
Des outrages à la langue française
Si cette recommandation peut passer pour une simple question de style, que dire de la phrase suivante, que La Nouvelle Ligne découvre sur son lieu de travail ? : « La personne ayant pouvoir sur ce compte en banque a été rencontrée ». Eh bien, on peut en dire que non seulement cette phrase est encore plus moche que la première mais qu’elle est peu claire : qui a rencontré la personne en question, où et dans quelles circonstances ? En réalité, l’auteur de cette phrase est un banquier qui voulait dire que non seulement il avait déjà rencontré le titulaire du compte, mais également cette autre personne titulaire d’un pouvoir. Voilà qui est clair maintenant.
Et puis, si vous avez toujours des doutes, sachez que, comme La Nouvelle Ligne a pu le lire, « votre question a été répondue ». Alors qu’en anglais, tous les verbes peuvent se conjuguer à la voix passive, en français on ne peut utiliser au passif que les verbes transitifs. Or répondre est ici intransitif, suivi de la préposition « à ». On pouvait et devait donc simplement dire : « Cher Monsieur, j’ai déjà répondu à votre question en date du… ». Même les chiens qui sommeillent dressent l’oreille face à ces anglicismes déplacés.
la passivité guète…?
C’est corrigé. Merci
Le phénomène le plus inquiétant est l’étouffement de la langue française non seulement par des mots en anglais mais par des mots et même des tournures syntaxiques qui ont l’air bien françaises et qui sont en réalité américaines.
Déjà nos arrière grand mères avaient du sex appeal, leurs maris, ou amants, portaient déjà le smoking et voyageaient en sleeping, les enfants de bonne famille avaient leurs nannies, on avait un plus ou moins bon swing ou handicap au golf, les officiers recevaient des briefings, les hommes d’affaires faisaient des brain stormings, même les communistes organisaient des meetings. Le week-end on allait au dancing, ou au night club si on voulait voir des girls.
Bref il y a bien longtemps qu’on était américanisés et on doit admirer la résistance héroïques des Canadiens français qui tiennent à leurs fins de semaine.
Aujourd’hui ce qui se passe est bien pire. C’est l’esprit même du langage, c’est-à-dire la syntaxe, qui est pervertie, et le sens des mots qui est faussé. dans l’enveloppe des mots français, le contenu est américain. Je me suis amusé à concocter un petit texte truffé de ces barbarismes qu’on entend tout le temps et par lesquels le sens des mots français est perverti :
On assume que l’initiative pour le renvoi des criminels étrangers sera acceptée dans un raz de marée, ce qui va causer un nouveau conflit démocratie versus droit international. Le discours populiste est très fort versus le politiquement correct, mais d’après les défenseurs du droit international c’est pour les mauvaises raisons. Possiblement c’est le populisme qui va prévaloir à cause de sa rhétorique de la loi et de l’ordre. Actuellement, personne ne peut faire une décision car c’est le peuple qui décide éventuellement. Même chose pour les minarets. Ca fait du sens de prendre en compte les attentes du public en termes de refus du multiculturalisme. Mais l’interdiction des minarets est-elle une victoire du sécularisme ou une discrimination xénophobe contraire aux accomodements raisonnables, si ce n’est un retour à la bigoterie? A la fin de la journée on va entrer une nouvelle ère dans nos relations avec l’Union Européenne où il faudra mettre l’emphase soit sur la souveraineté soit sur la compliance avec le droit international. De l’autre côté nous sommes très concernés par la fonte des glaciers mais comment adresser le problème du réchauffement global? Enfin, depuis que la Suisse a du se rendre à l’ultimatum américain et violer son secret bancaire, les banques ne font plus d’argent. De tous les côtés et avec n’importe quel narratif, en bas de la route on ne va nulle part.