Unorthodox.
Toujours confinée, La Nouvelle Ligne a suivi avec intérêt la mini-série Unorthodox, qui puise son inspiration dans le livre témoignage de Deborah Feldman [1] et en tire l’histoire de la jeune Esty Shapiro. Tout juste enceinte, Esty quitte son mari Yanky qu’elle avait épousé dans le cadre d’un mariage arrangé, ainsi que toute sa communauté de juifs hassidiques du quartier de Williamsburg à Brooklyn pour trouver refuge à Berlin ; elle y est accueillie par les membres d’une académie de musique pour jeunes où, aux côtés de juifs hétéros, elle trouve aussi des arabes et des homos que jamais on ne rencontre à Williamsburg.
Si les scènes qui décrivent la vie à Williamsburg correspondent à ce qu’a effectivement pu connaître Feldman, les aventures d’Esty à Berlin relèvent de la fiction et pourtant sonnent tout à fait juste. L’illustration de la vie et des rituels de la communauté hassidique de Brooklyn, les costumes et surtout les dialogues en yiddish, autrefois la lingua franca des Juifs de la Mitteleuropa, tout cela confère à la série une grande puissance de conviction. Les rôles respectifs d’Esty et de son mari Yanky sont portés à l’écran de manière tout à fait remarquable par Shira Haas et Amit Rahav, deux acteurs israéliens tandis que la silhouette fluette de Haas vient souligner la fragilité de l’individu face à la communauté.
Un bain rituel
Trois séquences remarquables viennent rythmer la série. Dans la première, Esty se dénude et se soumet à un bain rituel afin de se purifier la veille de son mariage. Quelque temps plus tard, débarquée à Berlin, elle se baigne tout habillée dans le Wannsee en vue de la villa où en 1942 s’était tenue la conférence qui devait décider de la Solution Finale ; ce deuxième bain a valeur d’une sorte de baptême dans la société libérale dans laquelle elle vient de plonger. Plus tard enfin ,alors qu’elle est admise à une audition de chant à l’académie de musique, elle donne d’abord du Schubert mais ça tombe à plat. Ce n’est que lorsque Esty chantera en yiddish [2] que toute sa personnalité, toute son âme et tout son talent émergent : il faut que Esty assume pleinement sa judéité pour qu’elle puisse s’affranchir de sa propre communauté hassidique.
Ce que le film ne dit pas
Le livre de Feldman s’inscrit dans un genre [3] certes mineur mais néanmoins bien vivant qui traite de la vie d’une personne au sein d’une communauté réputée oppressive et qui s’en échappe. Seuls les rescapés de ces histoires la racontent si bien qu’en définitive l’histoire demeure toujours la même, la fuite en cachette hors d’un groupe religieux en vue de gagner l’Occident, là où règne la liberté.
Vu sous ce seul jour, Unorthodox passe à côté de ce qui fait la vie de la communauté dont est issue Esty, telle que ses membres la conçoivent. Si les juifs hassidiques forment une communauté particulièrement étroite, faite de la stricte observance d’un grand nombre de prescriptions rituelles,
Un héritage
Esty grandit comme chacun de nous dans un milieu familial et culturel. Elle en recueille un héritage, une langue, une religion, des traditions, les recettes de cuisine de sa grand-mère etc. Dans le coeur de tout homme devenu adulte il en résulte une tension entre l’appartenance à un groupe et des choix individuels. Chez les juifs hassidiques, l’accent accordé à la transmission de ce bagage culturel au sens large est constitutive de leur identité même : est juif celui dont les petits-enfants sont juifs à leur tour. Chez Esty, cette tension entre bagage culturel et ses propres aspirations atteint un point de rupture et c’est la raison pour laquelle elle ne voit d’autre planche de salut que la fuite à Berlin. Pendant ce temps-là, les cinquante mille juifs de Williamsburg sont restés à Williamsburg et, ce faisant, ont tout autant posé un choix de vie qu’Esty pose le sien.
Des questions qui demeurent ouvertes
La Nouvelle Ligne juge regrettable qu’ Unorthodox n’aborde pas ces questions et qu’il suggère que, dans la vie, seule l’évasion permette d’accéder à la liberté. Il n’empêche, les deux scénaristes Anna Winger et Alexa Karolinski, alliées à la réalisatrice Maria Schrader ont livré une œuvre de grande qualité qui suscite une profonde émotion chez le spectateur.
[1] Unorthodox : the scandalaous rejection of my Hassidic roots
[2] La Nouvelle Ligne s’autorise à penser que le chant n’était pas en yiddish mais en hébreu, la langue liturgique en vigueur chez Esty et sa communauté
[3] Par exemple Betty Mahmoudi “Not without my daughter” ou encore Aabra “Taliban Escape”.
Peut-être qu’en détaillant bien la période de cette histoire, je pourrais planter le décor et comprendre l’intérêt de ces événements familiaux et sociaux.
Merci
Petite précision : Le bain rituel chez les Juifs orthodoxes, ne se fait pas uniquement avant la cérémonie du mariage, mais également à la fin de chaque cycle menstruel.
Je suis peu attirée par les séries, mais votre article (comme toujours interessants et bien structurés), a réveillé ma curiosité. 👍